Pour la troisième année consécutive la Fondation AVC Charity agit en grand mécène et partenaire du Festival « Zaubersee (Le Lac Magique) — Journées de la musique russe à Lucerne ». Cette ville, parmi les plus belles villes anciennes d’Europe, avec son cachet médiéval, joue un rôle de capitale culturelle en Suisse. Des festivals musicaux multiples et des concerts attirent ici les amateurs de la musique du monde entier. La cité enchante par son atmosphère paisible, par la pureté de l’air des montagnes qui l’entourent, par le rythme calme et mesuré de sa vie quotidienne. Lucerne est située sur les rives du Lac des Quatre Cantons, à une altitude de 400 m. Sur les eaux du lac se reflètent les contours majestueux des Alpes. « Que vouloir ? Que désirer ? Quand de tous côtés je suis entouré de beauté et de poésie » — s’exclamait autrefois Léon Tolstoï en décrivant Lucerne lors d’un de ses séjours dans cette ville aimée.

Les paysages magiques de Lucerne et de ses environs ont inspiré plusieurs compositeurs russes. Ce n’est pas un hasard si le directeur artistique du Festival « Zaubersee », Numa Bischof Ullmann, lui a donné les contours d’une fête annuelle de la musique, dont le fil conducteur serait le rapprochement des cultures de deux nations : celles de la Russie et de la Suisse.

Le Festival réunit pour quelques jours aussi bien des musiciens connus et appréciés par le public que les débutants, de tout jeunes interprètes. « Une alliance de la jeunesse et de l’expérience » — ainsi pourrait-on exprimer le crédo de ce forum. En 2014, à côté des grandes célébrités musicales telles que Mischa Maisky, Gidon Kremer, Kun Woo Paik et Nikolaï Louganski, les festivaliers ont eu la chance de découvrir le nom de jeunes musiciens : Alena Baeva, Olga Scheps, Ksenija Sidorova et Daniil Trifonov.

Le jeune et déjà célèbre pianiste russe Daniil Trifonov, lauréat du quatorzième Concours International Tchaïkovski, a présenté plusieurs programmes. Dans la salle des concerts de l’hôtel Schweizerhof Trifonov a brillamment interprété les Six pièces pour piano, Op.19 de Piotr Tchaïkovski, après quoi il a proposé au public une relecture profonde et réfléchie des Variations sur un thème de Chopin, op.22 de Serge Rachmaninoff. Le duo du violoncelliste de légende Mischa Maisky et de sa fille — la pianiste Lily Maisky fut également un grand moment. On retiendra leur magnifique interprétaion de quelques joyaux de la musique de chambre — les Romances de S. Rachmaninoff, dans une éblouissante transcription pour violoncelle et piano. Le son magique du violoncelle de Mischa Maisky si proche de la voix humaine a donné des frissons à plus d’un spectateur.

La musique de Rachmaninoff figure chaque année au programme du Festival. Rien d’étonnant : ayant vécu au bord du lac de Lucerne, dans sa villa Senar, Rachmaninoff y puisait son inspiration en créant des chefs d’œuvres de musique. C’est pour cela que la participation au Festival d’un des meilleurs interprètes de Serge Rachmaninoff — Nikolaï Louganski s’imposait. Cette fois, le pianiste a présenté un nouveau programme solo composé des œuvres de S. Prokofiev et de S. Rachmaninoff. Dans la salle de Schweizerhof Louganski a exécuté de manière totalement féérique la Sonate pour piano nº 4, op. 29, suivie par les 13 Préludes, op.32 de Serge Rachmaninoff. Le jeu de Nikolaï Louganski est marqué par une concentration intérieure extrême, par la profondeur intellectuelle, par une clarté parfaite des phrases musicales. L’interprétation magistrale, durant la même soirée du Trio élégiaque de Rachmaninoff pour piano, violon et violoncelle a certes marqué elle-aussi les esprits. Aux côtés de Nikolaï Louganski, Mischa Maisky et Alena Baeva composaient un trio de rêve pour une formidable performance, alors que jusqu’ici, les trois musiciens n’avaient encore jamais eu l’occasion de jouer ensemble. Leur présence en scène était impressionnante : jouée par les musiciens au talent immense, la musique de Rachmaninoff a connu une deuxième naissance. L’enthousiasme du public était évident et les applaudissements furent nourris très longtemps.

Un autre grand nom du Festival, Mieczislaw Weinberg, est un compositeur aux origines russo-polonaises. M. Weinberg est l’auteur de plus de vingt symphonies, de sept opéras, d’un nombre important de pièces de chambre, de musique de films et de dessins animés. Pratiquement inconnu en Russie, M. Weinberg est souvent joué en Occident. Il y a quelques années un Festival des œuvres musicales de Weinberg a eu lieu à Brégence (Autriche). Lucerne, cette année, a pris le relais.

Dans un entretien publié en Suisse par le webzine « Nashagazeta.ch » Numa Bischof Ullmann soulignait : « M. Weinberg appartient à ces compositeurs qui, au vu de la complexité des circonstances objectives et subjectives, n’ont pas connu la reconnaissance de leur vivant. Mais l’histoire vient toujours mettre les derniers points sur les ‹ i › et, heureusement, il se trouve des enthousiastes qui ‹ aident › l’histoire à rendre justice. Parmi ces derniers — l’ensemble belge Danel-Quartet qui a enregistré toutes les œuvres de Weinberg écrites pour un orchestre de chambre, et le grand violoniste Gidon Kremer qui promeut l’œuvre de Weinberg depuis quelques années déjà. Je suis heureux de savoir que ces musiciens participent à notre Festival de cette année ! »

Parmi les concerts de midi, habituellement donnés à la villa St. Charles-Hall à Meggen, il en fut un entièrement consacré à l’œuvre de Weinberg. La fille du compositeur Victoria Weinberg était présente à ce concert. Le Danel-Quartet y a interprété avec beaucoup d’émotion le Quatuor à cordes nº 3 et le Quintett pour piano et cordes (au piano — Olga Scheps). Encore enfant, cette jeune et talentueuse pianiste a émigré en Allemagne où elle a réussi à faire une brillante carrière musicale. Dans son programme solo Olga Scheps a inclus l’Obsession diabolique, op.4, nº 4 de Sergueï Prokofiev et les Variations sur le thème de Corelli, une des dernières compositions de S. Rachmaninoff, emplie de tragédie et de solitude. L’interprétation nuancée et émue d’Olga Scheps a mis en évidence ces motifs profonds.

Une conférence thématique prévue par les organisateurs avait pour sujet l’influence juive sur la musique russe. Cette manifestation, à laquelle participaient des musicologues venus de Grande Bretagne, d’Iran et de Russie, s’est tenue à l’issue d’ une interprétation en version concert de l’Ouverture sur Thèmes Juifs, Op.34 de Sergueï Prokofiev. Dans la discussion ont participé David Fanning, Michelle Assay, Léon Guinzbourg, Marc Danel. Le conseiller artistique du Festival Zaubersee, écrivain et producteur Jonathan Levi assurait le rôle de modérateur.

Le soir de la même journée la scène du Palais des Congrès et des Concerts de Lucerne (KKL), érigé en 1998 par l’architecte français Jean Nouvel, a accueilli l’orchestre de chambre « Kremerata Baltica » mené par son directeur artistique, le violoniste Gidon Kremer. Et, à nouveau, nous avons pu savourer la musique de Mieczislaw Weinberg. L’orchestre, dirigé par Mirga Gražinyte-Tyla (Lithuanie), a joué sa Symphonie de chambre nº4 pour orchestre, clarinette, percussions et cordes. Gidon Kremer est monté en scène deux fois au cours de la soirée : pour jouer, pour la première interprétation en Suisse, la composition « Minuit à Riga » du compositeur contemporain letton Arthur Maskats et, une fois encore, pour interpréter la Serenade d’après le Symposium de Platon de Léonard Bernstein : violon-cordes-harpe-percussions.

La brillante accordéoniste Lettonne, Ksenija Sidorova, est assurément la grande découverte du Festival 2014. Son élégance, son assurance, sa maîtrise de l’instrument sont totalement au service de son indéniable talent de musicienne. Les critiques reconnaissent à l’unanimité que Ksenija a le don de souffler une force improbable dans la sonorité traditionnelle de l’accordéon, de lui apporter une expressivité tout à fait extraordinaire et colorée. Si ceci était déjà évident durant le concert où Ksenija Sidorova interprétait aussi bien les œuvres originales écrites pour l’accordéon par le compositeur ukrainien Artiom Nijniak (Sansara), que les transcriptions pour l’accordéon des compositions de P. Tchaïkovsky, de S. Rachmaninoff et d’Alfred Schnittke, en interprétant la Gogol-Suite de ce dernier, Ksenija Sidorova, par son jeu fantastique, a fait montre du potentiel technique incroyable de son instrument. Non moins impressionnant a été son duo avec un acteur suisse Robert Hunger-Bühler. Tous les deux ont présenté une composition musico-littéraire sur le thème de la nouvelle « Lucerne » de Léon Tolstoï.

L’Orchestre Symphonique de Lucerne participe chaque année dans le programme du Festival Zaubersee. Cette année, dans la première partie du concert de clôture, il était dirigé par un jeune chef d’orchestre d’Ouzbekistan — Aziz Shokhakimov qui, plus tard, a remis sa baguette au maestro suisse Matthias Bamert. C’est ce dernier qui a dirigé l’interprétation en version concert de l’opéra de N. Rimski-Korsakov « Mozart et Salieri » d’après le drame d’Alexandre Pouchkine. Les parties vocales ont été interprétées par le ténor russe Sergey Radchenko (Mozart) et le baryton polonais Daniel Kotlinski (Salieri).

Le vaste programme du Festival s’est terminé le 1er juin par une « Nuit du cinéma russe ». Une rétrospective des films avec la musique de M. Weinberg a été proposée au public. Le dessin animé russe « Winni-l’Ourson » a été suivi par le « Quand passent les cigognes » de Mikhaïl Kolotozov (Palme d’Or au Festival de Cannes, 1958). Il nous reste à souhaiter que la prochaine rencontre avec l’art musical russe sur les bords du lac magique de Lucerne attire encore plus d’amateurs de la musique de tous les pays. Les organisateurs du Festival font tout pour que ce vœu se réalise.

Viktor Alexandrov, observateur musical de la fondation AVC Charity

<p>Festival «&nbsp;Zaubersee&nbsp;» (Le&nbsp;Lac Magique) à&nbsp;Lucerne</p>

28.05.2014 — 01.06.2014

Lucerne, Suisse